Il est nécessaire de redonner une éthique à l’activité économique

Publié le par Alexis Carré


Explication.La crise n’est pas un accident. Elle est le produit d’une politique aventureuse menée par les autorités américaines au cours des dernières années. Jacques Ninet, membre du directoire de la société de gestion Sarasin, nous donne son point de vue.

Comment expliquez-vous l’ampleur exceptionnelle de cette crise

On ne peut réduire les événements actuels à une simple crise de confiance des marchés boursiers ou à un effet de panique. Nous assistons à la convergence de phénomènes très profonds : la globalisation, qui a permis d’exporter le travail dans les pays à bas salaires tant qu’ils étaient à bas salaires, le problème du vieillissement de la population et du financement des retraites, qui conduit à de plus grandes exigences en matière de retour sur investissement, etc. Cela a structuré toute la pensée et l’action économiques et financières des quinze dernières années. Ajoutons la mainmise d’une certaine forme de mathématiques, l’uniformisation de la finance, la concentration de l’innovation financière dans un petit nombre de mains, avec une seule façon de gérer le risque. Cette absence de diversité a été dangereuse.

Enfin, on ne peut pas nier le phénomène idéologique. Ces années ont été des années de bascule par rapport au monde bipolaire, marxiste soviétique d’un côté, libéral de l’autre. Il y a eu une sorte de vague de pensée unique, de prêt-à-penser. Au sommet de tout cela, enfin, il y a une sorte d’amoralité de la gestion de l’économie et de la finance, avec l’idée que le transfert du travail des pays développés vers les pays émergents pouvait générer des marges considérables. Ce qui au départ avait un sens économique est devenu une forme d’exercice sans autre but que lui-même. Il va y avoir une nécessité absolue de redonner une forme d’éthique à l’activité économique.

Les banques centrales portent-elles une responsabilité dans la crise

Très clairement, l’ancien président de la Fed, Alan Greenspan, est vraiment le grand coupable. Il s’est toujours refusé à opposer une quelconque régulation à l’explosion des marchés dérivés. Lorsque les Européens ont formulé des objections, la réponse a été toujours négative. A chaque fois qu’il y a des pépins, la seule chose à faire, c’est de mettre des liquidités : c’était la doctrine Greenspan. A cela les Européens répondaient : en tant que banquiers centraux, nous avons un autre devoir que celui-là. Il y a eu aussi des débats internes à la Fed : certains avaient émis l’opinion que la banque centrale avait la responsabilité morale de ne pas laisser se développer les bulles et avec elles certaines pratiques ; ils ont quitté la Fed ensuite.

Un montant démentieldes produits dérivés

La Fed a vraiment laissé se développer un monde déséquilibré qui se fragilisait. On a laissé en toute connaissance de cause se développer un monde bancaire parallèle pour financer la bulle immobilière américaine, en dépit des alertes de la Banque des Règlements Internationaux ou d’autres institutions sur le montant démentiel des produits dérivés.

La remise en cause du modèle de la croissance américaine fondé sur la consommation des ménages et l’endettement ne risque-t-elle pas d’être douloureuse

Sur ce point, il y a eu une alliance d’intérêt entre les Américains et la Chine et, plus globalement, les pays d’Asie du Sud-Est. Après la crise de 1997-1998, la plupart de ces pays ont mis en place un modèle de croissance fondé sur l’exportation, accompagné d’un maintien artificiel de taux de change compétitifs. L’accord tacite passé avec les Etats-Unis peut se résumer ainsi : nous vous refinançons et vous achetez nos produits. L’Allemagne d’ailleurs en a bien profité, en tant que producteur de biens d’équipement pour ces pays. C’était évidemment un cercle vicieux, avec des Etats-Unis de plus en plus lourdement déficitaires et des pays émergents qui acceptaient de les financer jusqu’à ce que…

Le plan Paulson va obliger à faire la vérité. Les Etats-Unis sont aujourd’hui dans la situation où les intérêts de la dette représentent l’intégralité de leur déficit public, d’environ 400 milliards de dollars. Autrement dit, toute augmentation de la dette provoque une augmentation du déficit du même montant. Ou les Américains augmentent leur dépendance vis-à-vis de l’étranger, ou ils augmentent leur taux d’épargne, dans des proportions significatives, de 5 ou 6 % du revenu disponible. Ou ils perdent leur souveraineté financière, ou ils se serrent la ceinture.

La conséquence est claire : Ils vont entrer dans une phase de ralentissement de deux ou trois ans, avec peut-être un an de récession.

Où en est-on dans le déroulement dans la crise

Il faut être prudent en ce domaine : la situation évolue chaque jour. Mais on peut penser qu’on est maintenant dans la phase aiguë de la crise ; la crise bancaire est probablement pratiquement terminée, on recapitalise les établissements, on les consolide, les banques centrales ont baissé leurs taux ; la crise boursière va probablement trouver un plancher. On va entrer maintenant dans la crise économique : il va falloir absorber la diminution de richesse provoquée par toutes les créances irrécouvrables.

Quelles leçons doit tirer l’épargnant

Il doit en revenir à des notions simples et éviter de se laisser embarquer dans des opérations complexes, avec des produits garantis ou à effet de levier. Le livret A rapporte entre 2?% et 4?% sans risque ; les obligations rapportent 6?% avec un peu de risque ; les actions rapportent 10?% l’an en moyenne, mais avec des risques importants comme l’année 2008 en témoigne. L’épargnant doit répartir ses investissements en fonction du temps qu’il a devant lui de façon à ne pas se trouver en situation de devoir enregistrer une perte en capital au moment où il vend.

Risque d’inflation

Il faut penser que les vedettes boursières d’aujourd’hui n’existaient pas il y a trente ans. Il faut investir dans une perspective de long terme. Pour notre part, nous défendons de longue date l’investissement durable, appelé maintenant investissement socialement responsable. Nous pensons qu’il existe des perspectives intéressantes dans les infrastructures, les services à la personne, notamment pour le quatrième âge, qui représentent un enjeu social et économique colossal pour les vingt ou trente ans à venir, la qualité de l’habitat, les technologies de l’information, les technologies médicales, etc.

N’y a-t-il pas un risque d’inflation

Le risque majeur est qu’on ne reprenne pas les liquidités injectées et que les politiques expansionnistes mises en place aujourd’hui ne soient pas progressivement corrigées. Mais il ne faut pas oublier qu’un peu d’inflation permet d’éponger les dettes. On ne peut exclure une inflation future vers 5 % ou 6 % pour purger une partie des créances irrécouvrables. Propos recueillis par

Gérard Horny

LE BILLET DEGÉRARD HORNY

Difficile gestion de crise

L’annonce du lancement imminent d’un vaste plan de refinancement des banques américaines avait suscité un grand espoir sur les marchés le vendredi 19 septembre. Mais le plan Paulson a été rejeté par la Chambre des représentants et il a fallu attendre deux semaines de longues discussions entre l’exécutif et le Congrès avant que le plan Paulson dans sa version amendée ne soit adopté. Entre-temps, l’enthousiasme était retombé et les spécialistes avaient eu le temps de disséquer ce plan et d’en relever les faiblesses. Les banques n’ont pas seulement besoin de se décharger des actifs douteux, elles ont besoin de capitaux, notent les uns. On ne sait pas à quels prix ces actifs en détresse seront transférés à la société de gestion, notent les autres. Et tous s’inquiètent du délai de mise en œuvre?: le Trésor américain s’est accordé six semaines pour mettre en place les appels d’offres auprès de sociétés de gestion privées, pour recruter 24 gérants et juristes et annoncer les modalités de rachat.

De ce côté-ci de l’Atlantique, ce qu’on pouvait craindre est arrivé. En dépit des efforts déployés par les principaux dirigeants européens, la concertation a abouti surtout à de fermes déclarations de principe ; les principales mesures concrètes ont été prises individuellement par chaque Etat, parfois dans un esprit fort peu communautaire. Au demeurant, on voit mal comment les Européens auraient pu monter un fonds de financement comparable à celui des Etats-Unis et comment celui-ci aurait été accueilli, s’il avait pu être créé, par les diverses opinions publiques. Ce type d’opération passe mal aux Etats-Unis alors qu’il s’agit pour l’essentiel de sauver des banques américaines ; qu’auraient dit les contribuables français si on leur avait demandé de voler au secours de banques allemandes (et inversement) L’Europe est mal armée pour affronter les situations d’urgence et le seul qui peut parler pour toute la zone euro, Jean-Claude Trichet, n’a pas la charge de supervision des banques.

Notons toutefois que, en dépit de tous ces problèmes, des mesures nombreuses ont déjà été prises et que, dans les milieux financiers, on commence timidement à se demander si on n’approche pas du début de la fin de la crise.

Pas de pilote dans l’avion

En introduction à l’édition 2009 de Ramses * (rapport annuel de l’Institut français des relations internationales), Thierry de Montbrial écrit, après un passage consacré aux turbulences financières, «?la planète ne peut pas continuer à se contenter – dans tous les domaines – d’une gouvernance réactive?» (qui n’agit qu’en réaction aux crises). Et il ajoute : «?On ne peut afficher aujourd’hui qu’une certitude?: sans une adaptation drastique et rapide de la gouvernance planétaire, de grands drames mondiaux redeviennent possibles et même probables. » L’avertissement ne saurait être plus clair.

Suit une série d’articles consacrés aux diverses crises de ces derniers mois (bancaire, alimentaire, pétrolière), aux fonds souverains des pays émergents et à la gouvernance économique mondiale. Ensuite le lecteur retrouve le panorama habituel des grandes questions de politique internationale qui ont agité le monde en 2007 et en 2008. Une lecture conseillée à tous ceux qui souhaitent replacer les questions économiques dans un cadre plus large.


Propos recueillis par Gérard Horny GÉRARD HORNY G. H.
11 Octobre 2008
Investir Hebdo

Publié dans tendance

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