Costa Rica : le combat quotidien des planteurs de café

Publié le par Alexis Carré


Premier acheteur mondial d'arabica, Starbucks a noué avec les planteurs du Costa Rica des relations fondées sur les principes du développement durable et de l'investissement socialement responsable. Une politique qui permet au groupe américain de s'assurer un approvisionnement régulier en café de qualité, à des prix stables. Et aux paysans costaricains de survivre.

A gauche, pépinière de jeunes plants de café et fruits du caféier sur l'arbre. Rouge vif lorsqu'ils sont mûrs, ceux-ci sont appelés « cerises ». Ci-dessus, séchage des grains au soleil. Starbucks offre aux planteurs qui adhèrent à son programme une prime de l'ordre de 30 % par rapport aux prix du marché, qui ont chuté depuis l'été dernier.

Les hautes vallées du centre du Costa Rica offrent aux visiteurs un paysage de rêve. La ligne d'horizon est interrompue par des collines verdoyantes ponctuées, pendant la récolte, d'innombrables taches rouges, celles des « cerises ». A Talamanca, c'est ainsi qu'on appelle le fruit mûr charnu de l'arbuste de café, en raison de sa couleur rouge vif. Un petit coin de paradis ? Pas pour tout le monde... Ici, on travaille dur. Il faut aller chercher les cerises une à une, dans un enchevêtrement de branches sèches et piquantes. Les mains saignent vite. L'expérience se mesure à l'épaisseur des cals qui les recouvrent. Métier exigeant, harassant, dont la faible rentabilité récompense bien mal les cultivateurs des environs...

Pourtant, on s'arrache le café costaricain, qui a une excellente réputation. Celui de Talamanca en particulier. Starbucks ne s'y est pas trompé. Le géant américain du café achète chaque année, dans cette région du monde, les trois quarts de ses précieuses graines. De l'avis général, son arrivée a apporté une véritable bouffée d'oxygène aux planteurs de la zone, en leur permettant tout simplement de continuer leur métier. Sans les commandes de la célèbre chaîne de cafés, nombre d'entre eux seraient sans doute venus gonfler les bataillons de démunis de San José, la capitale du pays, littéralement encerclée par les bidonvilles.

Un cahier des charges ambitieux

Au Costa Rica, Starbucks n'apprécie pas seulement la saveur du café local. La multinationale y a également tissé des liens étroits avec les producteurs du cru, s'assurant ainsi un approvisionnement de grande qualité, à un prix relativement stable. Une façon de se couvrir contre les fluctuations du marché. Sur place, l'entreprise de Seattle exige deux choses de ses cultivateurs : une qualité irréprochable du café livré et un travail respectant son ambitieux cahier des charges. Baptisé « Cafe Practices » - Cafe pour « Coffee and Farmer Equity » -, ce dernier s'inspire explicitement des principes du développement durable et de l'investissement socialement responsable. Ceux qui y adhèrent doivent pouvoir répondre de façon satisfaisante à 24 pages de questions, allant des méthodes d'irrigation aux conditions de la récolte en passant par les critères de gestion financière. Lancé en 2004, ce programme est vite monté en puissance. Trois ans plus tard, 65 % du café acheté par Starbucks l'a été auprès d'agriculteurs respectant la « charte » maison. « L'objectif de 100 % est pour 2015 », assure Peter Torrebiarte, le bouillonnant Guatémaltèque qui dirige l'antenne d'Amérique centrale du groupe à San José.

Si les paysans de la région se convertissent aux pratiques préconisées par la société américaine, c'est qu'ils ont quelque chose à y gagner. En échange de leur adhésion au programme Cafe Practices, leur puissant acheteur leur consent en effet une prime moyenne d'environ 45 dollars par sac d'arabica, leur garantissant ainsi un prix supérieur de près de 30 % aux cours actuels du marché new-yorkais.

Esteban Sanchez, le plus jeune des neuf frères de la ferme familiale de Candelilla (90 acres), est l'un de ces « fournisseurs modèles ». Un fournisseur plutôt satisfait de son sort : chaque année, Starbucks lui achète environ 65 % de sa production, au prix moyen de 170 dollars le « fanaga » - l'unité de mesure locale, correspondant à un sac de 46 kilos. « Grâce à cela, nous pouvons survivre, assure-t-il. A condition de ne pas descendre sous une production annuelle de 1.250 sacs. »

Survivre. Pour la famille Sanchez, il s'agit bien de cela. Malgré la qualité de son café. Malgré les efforts fournis pour rendre la gestion de l'exploitation plus rigoureuse et pour rationaliser tout le processus de production, avec une chasse permanente aux coûts excessifs. « Nous avons remplacé une machine qui sélectionnait les graines en fonction de leur taille par nos mains et nos yeux. Cela nous fait économiser de l'électricité. Et puis, il est difficile de sortir 20.000 dollars pour un nouvel outil », se justifie Esteban.

Le rôle clef de la banque d'Etat

A elle seule, la ferme de Candelilla résume assez bien la situation précaire des plantations costaricaines, que le soutien d'un Starbucks suffit à peine à maintenir à flot. « Le juste prix pour notre profession serait de l'ordre de 225 dollars le «fanaga» », estime Esteban Sanchez. Un point de vue partagé par Carlos Rivera Chavarria : « 150 dollars le «fanaga», ce n'est pas un prix soutenable pour les agriculteurs », s'insurge le président de Coopetarrazu, une coopérative formée par près de 2.500 petits producteurs, qui vend environ 60 % de sa production à Starbucks, au prix moyen de 143 dollars le sac. Même pour une structure comme la sienne, a priori plus robuste, difficile de garder la tête hors de l'eau. « Nous arrivons à survivre parce que nous avons diversifié nos activités, en ouvrant un supermarché et une station-service », poursuit le patron de Coopetarrazu. Aujourd'hui, ces activités annexes assurent environ 40 % de son chiffre d'affaires annuel, qui s'élève à 30 millions de dollars. Leur rentabilité est telle que « nous sommes en mesure de distribuer des dividendes à nos membres dès que le prix du sac de café atteint les 150 dollars », enchaîne Carlos Rivera Chavarria.

Pour tenir debout, la coopérative locale peut s'appuyer sur une autre béquille : un accès relativement aisé aux marchés de capitaux. Dans un contexte financier particulièrement difficile, Coopetarrazu bénéficie de quelque 15 millions de dollars de lignes de crédit bancaires, au taux très avantageux de 7 %, auprès de la banque d'Etat Banco de Costa Rica (BCR). Cette dernière joue du reste un rôle clef pour les plantations du pays. Les plus petites exploitations, comme celle de Candelilla, ont accès à ses crédits aux mêmes conditions que les coopératives.

Un autre front décisif pour la survie de la filière du café costaricain est celui de la lutte contre le champignon « Hemileia vastatrix », ou rouille du café, qui donne une coloration caractéristique aux feuilles et empêche la photosynthèse de la plante. Sur ce terrain-là aussi, Starbucks s'efforce d'aider les cultivateurs. Ses agronomes sillonnent le pays pour aller à la rencontre de ses fournisseurs et les conseiller sur les meilleures méthodes pour défendre les arbustes caféiers.

Protéger les ressources

Etabli à San José depuis 2004 sous la direction de Peter Torrebiarte, le premier centre de soutien aux agriculteurs est composé de trois équipes distinctes : des agronomes, des spécialistes en qualité et des experts en développement durable. Rayonnant en Amérique centrale et latine, ce centre a essaimé en Afrique, avec un bureau à Kigali, au Rwanda, et va prochainement en ouvrir un autre en Ethiopie. Les collaborateurs de Peter Torrebiarte se battent aussi pour le respect de la terre. « Les anciennes générations d'agriculteurs costaricains ne pensaient qu'à tirer le rendement maximum des terres. Résultat : la production est tombée de 60-70 «fanagas» par hectare à 5. Aujourd'hui, une approche professionnelle plus attentive à la problématique de la protection des ressources naturelles et de la terre nous a permis de remonter les rendements à 30-35 «fanagas» », confirme Esteban Sanchez.



MASSIMO PRANDI
13 Février 2009
Les Echos

Publié dans tendance

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