L'obésité, obstacle majeur sur la route de l'industrie alimentaire

Publié le par Alexis Carré


Treizième volet des indicateurs Eurosif des performances environnementales et sociales des grandes entreprises internationales, en partenariat avec cinq journaux européens

Le 25 mars s'est tenue à Paris la dernière réunion d'un groupe d'experts constitué par le ministère de la santé afin d'élaborer des propositions de limitation de la publicité télévisée pour certains types d'aliments destinés aux jeunes. Le 5 février, Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, avait annoncé qu'une telle mesure serait prise afin de lutter contre l'obésité, tout comme la suppression des étalages de confiserie aux caisses de supermarché. Comptant sur l'engagement volontaire des professionnels, la ministre a cependant prévenu qu'elle proposerait des mesures législatives en cas d'échec. Une centaine de députés ont d'ores et déjà cosigné un projet de loi en ce sens. Mais les représentants de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) ont décidé de boycotter les travaux du groupe d'experts, estimant que l'industrie était devenue le " bouc émissaire " d'un problème de santé publique.

Pourtant, selon un sondage réalisé par l'IFOP pour l'ANIA les 20 et 21 février auprès d'un échantillon représentatif de 1 000 personnes, les trois quarts des Français estiment qu'une alimentation variée, saine et équilibrée est le plus important facteur de préservation de la santé ; 41 % identifient l'alimentation déséquilibrée comme la principale cause de l'obésité chez les enfants ; et 47 % estiment que les industriels doivent participer à la lutte contre l'obésité.

La question du surpoids n'affecte pas que les pays développés, dans la mesure où l'enrichissement des classes moyennes dans les pays émergents a entraîné une forte modification des comportements alimentaires : la consommation de viande devrait y doubler d'ici à 2020. C'est à la fois une opportunité pour les industriels occidentaux, dont les ventes sont entravées par le durcissement de la réglementation sur leurs marchés d'origine, et un risque supplémentaire, dans la mesure où l'alarme a déjà été lancée à l'échelle mondiale. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à plus de 1,6 milliard le nombre d'adultes souffrant de surpoids en 2005 (dont 400 millions d'obèses), et à 2,3 milliards leur nombre en 2015. Le surpoids serait à l'origine de 68 % des cas de diabète, dont la fréquence devrait augmenter de 50 % dans les dix ans à venir, de 21 % des infarctus, de 8 % à 42 % de différents types de cancers dans le monde. Un rapport de l'Union européenne (UE) estimait en 2006 que le traitement de l'obésité représentait déjà 7 % du total des dépenses de santé.

Depuis 2003, les Etats du Nord comme du Sud (Chine, Singapour, Brésil) multiplient les réglementations contraignant les industriels à mieux informer les consommateurs sur la composition des aliments, à limiter la publicité sur certaines catégories de produits, voire à interdire certains composants. Les parcs d'attractions de Disney et la ville de New York ont par exemple banni (respectivement en 2006 et 2008) les aliments contenant les très controversés acides gras trans (qui améliorent la consistance des aliments).

Les géants du secteur sont amenés à prendre les devants face à une diminution croissante de leurs marges de manoeuvre. Ils ont d'abord joué la carte des produits " allégés ". Selon une étude de Goldman Sachs de février 2007, les deux tiers des nouveaux produits lancés entre 2002 et 2005 par Kellogs, plus de 40 % de ceux de Danone et de Coca-Cola, près de 30 % de ceux de Nestlé, Unilever et Kraft, présentaient de telles " allégations santé ". Les industriels s'efforcent aujourd'hui de généraliser ce positionnement à l'ensemble de leurs produits. Quitte à se débarrasser des plus pénalisants, comme la biscuiterie pour Danone, ou à réduire le recours à certains ingrédients : Nestlé a fixé pour objectif une réduction de 25 % du sel contenu dans l'ensemble de ses produits d'ici à 2010, et de 16 % du sucre d'ici à 2012.

Les données de ce 13e volet des indicateurs Le Monde/Eurosif, recueillies également par Ernst & Young pour La Stampa (Turin), El Pais (Madrid), Die Zeit Online (Hambourg) et Le Temps (Genève), montrent que cette mutation est beaucoup plus avancée dans les grandes entreprises européennes que chez leurs concurrentes américaines. Cependant, note Eric Mugnier, consultant au département développement durable d'Ernst & Young, il manque encore " une information précise sur la nature et le volume des composants entrant dans le processus de fabrication de la totalité des produits, qui faciliterait la comparaison et permettrait de mesurer les efforts réels de réduction des composants dangereux ".

C'est d'ailleurs l'approche suivie par certains investisseurs. Afin de mesurer l'exposition des différents acteurs du marché au " risque d'obésité " - plafonnement des ventes dû à la réglementation, accroissement des dépenses de recherche et développement (R & D), risque de réputation - les analystes financiers d' Oddo Securities mesurent le poids de certaines gammes de produits (glaces, mayonnaise, confiserie) dans le chiffre d'affaires et la marge opérationnelle de chaque société (car ce sont justement ces produits qui génèrent le plus de marge...). " Même si l'on n'examine pas les étiquettes produit par produit, cela donne une bonne estimation du risque, estime Jean-Philippe Desmartin, responsable de la recherche " investissement socialement responsable " chez Oddo. D'autant que les additifs alimentaires censés alléger la teneur en sucre, sel et corps gras présentent autant d'incertitudes quant à leurs effets sur la santé humaine. "

Antoine Reverchon
1 Avril 2008
Le Monde Economie

Publié dans tendance

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