Pouvons-nous spéculer sur la faim dans le monde?

Publié le par Alexis Carré



La semaine dernière, dans plusieurs quotidiens alémaniques, UBS a fait paraître une publicité qui a fait scandale. La première banque helvétique y vantait les perspectives de grand rendement d’un fonds de placement portant «sur les matières premières agricoles et le bétail vivant». Elle justifiait son assurance par «la pénurie d’eau et de terres cultivables» dans le monde. S’agit-il de spéculation aux dépens de populations dans le besoin? Ou même affamées? £

Le directeur d’Ethos, l’actionnaire d’UBS le plus visible en Suisse, ne cache pas son indignation. Sa fondation gère une partie du deuxième pilier de 400 000 assurés en grande partie romands, actifs ou retraités. Soit près d’un million de personnes en comptant leurs familles. Tout cela en pratiquant l’investissement socialement responsable, favorisant le développement durable. Entretien.

Comment avez-vous perçu la fameuse pub d’UBS?

J’ai été choqué. Cette pub propose sans aucune ambiguïté d’investir dans les produits agricoles et le bétail vivant. Selon la banque, il s’agirait d’une excellente opération, car la hausse des prix devrait se poursuivre dans les deux secteurs. En ce sens, l’établissement encourage un dangereux cercle vicieux. De mon point de vue, cette publicité ne respecte pas l’esprit du propre code des affaires d’UBS.

Vous paraît-il certain que les investisseurs recourant à de tels fonds favorisent, directement ou indirectement, la hausse des prix de produits de première nécessité?

Oui. En achetant ce type de produits, on en accroît encore davantage la demande. De plus, les investisseurs ne s’intéressent pas à ces matières premières agricoles en tant que telles. Ils cherchent donc à les revendre au plus vite, avec bénéfice, à l’acheteur suivant. C’est le jeu de l’avion qui mise sur la faim dans le monde.

N’est-il pas socialement responsable que des fonds de pension protègent l’épargne de futurs retraités en investissant dans les matières premières lorsque les marchés boursiers se portent mal?

Un fonds de pension doit gérer ses avoirs avec un horizon à long terme. Dans une telle perspective il n’est évidemment pas responsable d’acheter du blé ou du bétail vivant, uniquement dans le but de le revendre quelques jours plus tard.

Estimez-vous que des produits financiers liés aux cours de denrées alimentaires devraient être interdits?

Je préférerais une autorégulation du marché plutôt qu’une interdiction pure et simple. Dans un premier temps, pour limiter les opérations spéculatives sur les marchés de denrées alimentaires, il serait peut-être souhaitable d’introduire un émolument sur chaque transaction. Cela pourrait contribuer à financer un fonds d’aide alimentaire d’urgence.

Près de 40% du négoce international sur les matières premières s’effectuent à Genève et 6000 personnes sont employées dans cette activité. N’est-ce pas un atout économique?

A première vue, il s’agit effectivement d’un secteur qui contribue à la prospérité de Genève. Je ne pense pas cependant qu’il faille encourager n’importe quelle activité sous le prétexte de création d’emplois.

Désapprouveriez-vous donc les efforts du conseiller d’Etat David Hiler visant à attirer des hedge funds à Genève (voirnos éditions de mercredi)?

J’aurais nettement préféré qu’il propose d’accorder des facilités fiscales aux institutions financières favorisant l’investissement socialement responsable et la microfinance, ce qui aurait d’ailleurs été plus cohérent pour un magistrat vert.

Les portefeuilles sous votre responsabilité ne contiennent-ils pas des placements liés à des produits agricoles?

Nous n’investissons pas directement dans les produits agricoles, mais uniquement dans des sociétés cotées, parfois actives dans le secteur alimentaire, comme Nestlé ou Danone. Dans ces cas-là, nous engageons systématiquement le dialogue avec ces firmes pour les pousser à prendre conscience de leurs responsabilités sociales, aussi bien vis-à-vis de leurs fournisseurs agriculteurs que de leurs clients.

ÉTHIQUEDominique Biedermann, le directeur de la fondation Ethos, l’actionnaire d’UBS le plus visible en Suisse, se déclare «choqué» par une pub récente de la première banque helvétique.



Rodrik
24 Mai 2008
La Tribune de Genève

Publié dans tendance

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article