«Pas de mondialisation possible sans investissement socialement responsable»

Publié le par Alexis Carré


Questions à Melchior de Muralt et Christopher Quast, cogérants du Guilé European Engagement Fund.

La maison genevoise de Pury Pictet Turrettini & Cie propose une approche originale de l'investissement socialement responsable (ISR) avec le fonds Guilé European Engagement Fund. La dimension «engagement» social et environnemental de ce produit créé en octobre 2006 tient à la collaboration avec la fondation jurassienne Guilé. Le lien est fait par Melchior de Muralt, trésorier de cette dernière et cogérant du fonds. Accompagné de Christopher Quast, il explique que le portefeuille est composé de grandes compagnies européennes signataires du Pacte mondial (Global Compact) de l'ONU, qui demande aux entreprises d'agir en faveur des droits de l'homme, des normes de travail, de la protection de l'environnement et de la lutte contre la corruption. Cette approche ne nuit pas au rendement: la valeur des parts a surperformé l'indice de référence, le Dow Jones Stoxx 50, de 2% depuis son lancement.

Le Temps: En quoi cette association avec Guilé donne-t-elle plus de valeur responsable au fonds?

Melchior de Muralt:Le Pacte mondial demande notamment aux entreprises signataires d'informer sur leurs progrès et la fondation Guilé, à laquelle nous reversons la moitié de la commission de gestion, évalue ces rapports. Elle propose aussi des ateliers sur la stratégie en matière de responsabilité, auxquels 30% des sociétés en portefeuille ont participé. Cela nous permet, en tant qu'actionnaire, de nouer un dialogue avec le management. Par exemple, nous avons pu attirer l'attention de Siemens sur l'opportunité que représente la fabrication de petites stations de purification d'eau. L'ONU soutient leur vente à de petits entrepreneurs pour résoudre les problèmes d'eau potable dans de nombreuses régions. Une entreprise chinoise en fabrique déjà et les vend 1000 dollars. Grâce à ses compétences dans le filtrage, Siemens aurait le potentiel de devenir une sorte de Starbucks du kiosque à eau. Le groupe est pourtant mal noté par les agences de notation ISR, en raison de problèmes de corruption. Nous pensons que ces notes sous-estiment l'apport de Siemens et nous n'en tenons pas compte.

Nous dialoguons aussi avec Axa et Swiss Re dans le cadre d'un projet visant à développer l'assurance maladie dans les pays émergents. Sur terre, 4 milliards de personnes n'ont pas la possibilité de se protéger contre les risques de santé et, chaque année, plus de 100 millions retombent en dessous du seuil de pauvreté. Les contacts de la fondation Guilé dans l'économie ou l'aide au développement ont contribué à faire avancer le projet, dont une phase pilote va démarrer en Afrique. Il s'agit aussi d'une opportunité de croissance dont bénéficieraient les actionnaires.

- Cette vision n'est-elle pas utopique?

M.d.M.: Oui, mais nous y croyons. L'investissement éthique n'est pas une mode. Il s'agit d'une conséquence de la mondialisation, qui impose aux marchés des capitaux de tenir compte des aspects sociaux et environnementaux. Le Pacte mondial est né de ce constat en 1999 et 4500 entreprises, notamment dans les pays émergents, l'ont maintenant signé. Certaines organisations le critiquent parce qu'il n'est pas contraignant. De notre côté, nous pensons que tout nouveau droit doit passer par une période d'autorégulation, jusqu'à ce qu'un consensus émerge.

La mission de la fondation Guilé est d'aider les entreprises à créer de la valeur en tenant compte des facteurs humains, environnementaux et sociaux. Un excellent exemple est l'engagement en faveur du développement durable de la société suisse d'exploitation forestière et de négoce de bois Precious Woods. Son activité au Congo montre qu'il est possible de travailler dans des régions sensibles sans perdre ses valeurs.

Il y a eu plusieurs étapes dans le développement de l'ISR. D'abord, des sociétés ou des secteurs, comme les armes, l'alcool et le tabac, ont été exclus. Les années 1990 ont vu apparaître la recherche de «best in class», des sociétés exemplaires dans des secteurs qui le sont moins. Aujourd'hui, les investisseurs ISR recherchent l'engagement. Il s'agit d'un concept flou, qui touche à l'exercice des droits de vote, à l'activisme et au dialogue avec les entreprises, mais qui est obligatoire pour les grands fonds de pension soucieux de l'impact de leurs investissements.

Pour que l'engagement d'une entreprise s'appuie sur une base durable, il faut qu'il fasse partie de sa stratégie et soit rentable. Cela peut soutenir sa croissance, grâce à de nouvelles opportunités et en réduisant les risques. C'est en soutenant de telles démarches que nous pensons contribuer sur le long terme à la création de valeur économique et à la promotion de principes éthiques dans la gestion des affaires.

- Quel est le contenu du portefeuille?

Christopher Quast: Il est composé de grandes capitalisations européennes qui ont signé le Pacte mondial. L'univers total représente quelque 250 titres, et nous avons pour objectif d'en détenir entre 30 et 40, un nombre qui nous offre une bonne diversification. Les choix sont faits selon le processus que nous utilisons pour des mandats institutionnels. Nous sommes libres par rapport à l'indice de référence et sélectionnons des sociétés selon leurs perspectives de rentabilité, la solidité de leur bilan et leur valorisation. Nous achetons quand nous voyons un potentiel d'appréciation d'au moins une vingtaine de pour cent et nous posons la question de vendre quand cet objectif est atteint. Il arrive que nous nous trompions. Par exemple, nous avons sous-estimé des problèmes fondamentaux chez Sanofi. En raison de l'échéance de nombreux médicaments, nous n'avons plus qu'une seule pharma en portefeuille, Novartis. Du côté des financières, nous essayons de défendre le portefeuille avec la banque Standard Chartered, qui est épargnée par les effets de la crise financière et cherche la croissance sur les marchés émergents. Pour que notre engagement auprès des entreprises soit crédible, nous ne faisons pas de trading et notre horizon de placement est à moyen terme, trois à cinq ans.




Jean-Pascal Baechler
2 Juin 2008
Le Temps

Publié dans tendance

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