Paradoxes français

Publié le par Alexis Carré



Dans un pays aussi profondément marqué par la tradition jacobine et laïque que la France, il n’est guère surprenant que la finance islamique n’y prenne pas aisément son envol. Tout ce qui peut ressembler, de près ou de loin, à du « communautarisme » n’a pas bonne presse. Aussi, à tort ou à raison, les banques hésitent-elles à estampiller « islamique », et encore plus « conforme à la charia », une pratique financière spécifiquement destinée à une partie au moins de la communauté musulmane, par crainte de conséquences inattendues et dommageables sur leurs marques.

Il y a là un réel paradoxe. D’abord parce qu’il n’y a pas, relèvent à l’unisson les juristes, de contradictions majeures entre la loi française et ses principes laïques d’une part, et les exigences essentielles de la morale musulmane d’autre part, dont certaines recoupent, au reste, la vieille pensée catholique thomiste certes dépassée mais toujours influente : refus de l’intérêt et de la spéculation, interdiction d’investir dans des activités moralement condamnables, obligation de partager les profits et les pertes, et nécessité d’asseoir toute transaction sur un actif tangible.

Les outils juridiques existent, au prix parfois d’adaptations, qui permettent de penser la finance islamique comme une forme d’investissement « socialement responsable ».

Le second paradoxe est que la France compte la plus nombreuse communauté musulmane d’Europe. Si celle-ci se conforme sans sourciller aux pratiques bancaires ambiantes et accepte, sans songer à mal, de voir son épargne rémunérée, il est plus que probable que, comme le montre l’exemple britannique, une demande de produits islamiques se manifesterait si une offre émergeait.

Enfin, les liens anciens et étroits que la France entretient avec l’ensemble du monde arabe la désignent naturellement comme un de ses partenaires privilégiés, d’autant plus intéressé que s’y constitue une énorme épargne au rythme vertigineux des hausses de prix des hydrocarbures.

Aussi peut-on gager que les temps sont appelés à changer. Non seulement parce que les banques d’investissement françaises ont pris, depuis des années déjà, le chemin du Golfe et participent au montage de nombreux projets locaux ; mais aussi parce que les esprits évoluent en France même quant à l’opportunité d’adapter droit et fiscalité à cette nouvelle pratique financière.

En témoignent un colloque récent tenu au Sénat, caractéristique d’une prise de conscience politique, et les réflexions en cours au sein de la place financière, qui pourraient rapidement déboucher sur des mesures fiscales. De quoi lui donner un argument de plus au moment où mûrit sa vocation internationale.



Philippe Mudry
19 Juin 2008
L'AGEFI Hebdo

Publié dans tendance

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